Des sentiers de la guerre aux chemins intérieurs

L’injustice, José Nicolas la perçoit dès l’enfance. Né d’un père militaire qui parcourt l’Afrique et d’une mère d’origine libano - marocaine, José arrive en France à l’âge de dix ans. Le regard porté sur le couple mixte formé par ses parents, le déracinement de sa mère ouvrent les yeux et le cœur du jeune garçon : sa sensibilité particulière aux destinées malmenées par l’Histoire découlent de cette expérience première. 


Son parcours semble tracé d’avance : il intègre le lycée militaire de La Flèche puis rejoint les Unités parachutistes. En 1978, à tout juste 22 ans il opère avec des unités d’élite au Sud Liban ; en 79, il intervient en République Centrafricaine, suite à l’éviction de Bokassa. Pourtant, très vite, sur le terrain, José prolonge le devoir de servir son pays par son témoignage oculaire et « s’arme » d’un petit appareil photo. Ce premier regard personnel sur les populations piégées dans les zones de conflit, va trouver un écho, à Beyrouth, dans un hôpital improvisé. José y fait une rencontre humaine déterminante : celle de Bernard Kouchner, un jeune « french doctor » au chevet des victimes civiles de la guerre. Le temps d’une permission, le parachutiste offre ses services à l’équipe médicale, se fait chauffeur et logisticien dans la ville en flammes ; et dans le même mouvement, le photographe amateur imprime, sur sa pellicule, la souffrance des blessés dans les blocs opératoires improvisés, les regards hantés par la peur de mourir. Un reporter d’images s’éveille.  


« Une bonne photo, c’est beaucoup de chance, un peu de courage et le sens du cadrage » résume-t-il sobrement aujourd’hui. José Nicolas a croisé sur les zones de conflit les grands du photo - journalisme et appris à leur contact à presser sur le déclencheur au bon moment, au bon endroit. En 1983, alors qu’il patrouille dans les rues de Beyrouth, la balle d’un sniper perché sur un toit lui traverse le corps. Il est réformé à 29 ans. Le bel âge pour devenir soi-même et se consacrer à sa vraie passion : le reportage sur les zones de guerre. Il est libre désormais, libre d’accompagner Bernard Kouchner et Médecins du Monde sur tous les fronts, en Afghanistan, au Kurdistan, en Mer de Chine… L’humanitaire lui permet de marcher sur ses deux pieds. Un pas pour se confronter au danger, un autre pour témoigner. Il rejoint l’agence Sipa et affine son regard. La connaissance du terrain est un atout majeur pour le reporter qui sent d’instinct les risques et peut repérer, au sifflement de l’obus, la position du lance-roquettes.  Les valeurs acquises dans l’armée aussi : « La solidarité et la loyauté dans l’épreuve, j’ai appris, sous l’uniforme, à ne pas me contenter d’en épeler les lettres ». La droiture enfin et le respect dû à tout homme, aussi démuni soit-il, qui le font renoncer à prendre certaines images dégradantes, passer, en conscience, à côté d’un scoop : la détresse d’un être humain vaut davantage qu’une bonne photographie. En 1987, le sort des boat-people le marque à jamais. Des familles entières, jetées à la mer sur des jonques de fortune, sont hissées sur le navire de Médecins du monde, sauvées d’une mort certaine. José Nicolas couvre, des semaines durant, ce sauvetage de la dernière chance et montre au monde entier la désolation des exilés : ses images, empreintes de tendresse, ouvrent les coeurs. 


En 1994, alors qu’il couvre l’opération Turquoise au Rwanda, le reporter est à nouveau criblé de balles. C’est la blessure de trop, il rempile, quitte Sipa et pose son trépied au pied de la Montagne Sainte-Victoire, à Aix-en-Provence. Le père veut prendre le temps de voir grandir ses enfants et le photographe, orienter son objectif vers la lumière. Ça tombe bien, dans le Sud, la vie scintille. La mer, les vignes, les artisans de l’arrière pays se partagent ses faveurs. Un jour, en reportage à Sète, un pêcheur lui offre un poisson, empaqueté dans des pages arrachées à un grand magazine qui a souvent publié ses reportages. José prend une leçon d’humilité et de sagesse. La joie est là, sur cette plage où les canons ne tonnent pas. Il pose son boîtier et partage avec le pêcheur un verre de rosé et des sardines grillées. 


Aujourd’hui, José Nicolas vit à Paris et se consacre à des travaux plus personnels. Le regard de sa nouvelle compagne, issue du milieu artistique, le pousse à l’intériorité ; il  quête la magie de l’instant, revisite ses archives photographiques, prend plaisir à fabriquer des livres. French Doctors, publié aux éditions La Martinière et préfacé par Bernard Kouchner, témoigne de cette volonté de rassembler le puzzle de sa vie, de presser le jus de son parcours pour en extraire le sens. Parfois le démon de l’aventure et la fidélité à ceux qui l’ont construit rattrapent le grand-reporter qui retourne en Afghanistan ou en Afrique. Mais sa vie est ailleurs désormais. La beauté du monde l’attire davantage que son chaos, la soif de sérénité prend le pas sur l’urgence à dire, la volonté de percer le mystère de l’existence l’emporte sur le risque de la perdre. Clichés noir et blancs tremblants, photographies argentiques, tableaux miniatures d’odes à la nature tracent un point d’orgue sensible à une vie d’aventures. Le grand voyageur n’arpente plus les sentiers de la guerre. Il marche sur de nouveaux chemins, explore les voies secrètes qui mènent à l’intérieur. 


Catherine Lalanne, rédactrice en chef à l'hebdomadaire Pèlerin

En 2019 il crée l'Atelier/Galerie Taylor à Paris, un show-room convivial dédié à la photographie faisant coïncider et dialoguer jeune public amateur d'images et collectionneurs avisés. Des expositions de photographes reconnus et émergents sont organisées, du support "argentique" à des procédés plus contemporains. Vernissages, sorties éditoriales, ateliers, conférences, foires et expositions "hors murs" s'y succèdent.