Haïti 2014, la terre des survivants

C’est une partie d’île. Mais d’elle, on pourrait aussi écrire un lambeau tant le ciel et l’histoire ont martyrisé ce mouchoir de poche flottant quelque part au cœur des Caraïbes. Beaucoup l’ignorent mais Haïti - la « montagne dans la mer » selon une des traductions que nous préférons - est sur le même continent miniature que Saint Domingue. Une frêle embarcation au cœur de l’immensité océane. Sur ce radeau délabré des hommes et des femmes descendants de toutes les violences. Massacres, esclavage, dictature… Les Haïtiens ont toujours été à la peine mais comme cette langue qu’ils ont « inventé pour survivre », le créole, ils s’agrippent à la vie avec l’appétit féroce de ceux qui ont un jour su briser les chaines. Leur combat fut leur lumière, au sortir du siècle qui en fit triompher d’autres, ailleurs, et imposa la trilogie républicaine. Derrière Toussaint Louverture c’est bien de liberté qu’il était surtout question et cette première république au monde créée par d’anciens esclaves paya, cent fois le prix du sang et des larmes pour pouvoir la revendiquer encore aujourd’hui. Les Haïtiens, audacieux Prométhée, n’ont jamais cessé de devoir un énorme tribut pour avoir installé leur beau désordre et leur folle indépendance aux portes des opulents. Les fléaux ont eu parfois des noms – papa et bébé Doc – mais souvent la puissance des désastres lorsque les cyclones ont balayé ce qui pouvait encore l’être (2004) et le séisme (2010) emporté ce qui restait. Alors les montagnes ont dégringolé, la boue s’est incrustée, la maladie s’est installée. Pourtant comme ce souffle qui envahit d’une buée imprécise le miroir pour refuser la mort, les Haïtiens, comme un blé poussé par l’espérance, sont toujours là plus vivants que jamais. José Nicolas a fait le plein dans sa boîte magique des couleurs qui s’imposent, les nuages passés. Le pays le plus pauvre est riche de ce peuple insoumis.

Hervé Nedelec